NuclearPlatypus

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Trop souvent le débat – et la polémique – autour de la dérive « illibérale » de la France est réduite à la seule figure du président de la République. Quelle que soit l’hybris jupitérienne de ce dernier, son action s’inscrit dans un jeu de forces, à la fois synchronique et diachronique, dont il est souvent le simple jouet. Il est plus important de réfléchir à des enchaînements complexes de circonstances contingentes et hétérogènes qui enclenchent, dans des situations historiques concrètes, de nouvelles configurations.


L'injonction d’Emmanuel Macron à ses ministres de se montrer non «gestionnaires» mais «révolutionnaires» peut prêter à haussement d’épaules. On peut y voir aussi une manifestation supplémentaire du grotesque qui lui tient lieu de style politique dès lors que sa prétention à être lui-même « révolutionnaire » va de pair avec la répression policière de tous ceux qui se le disent également, avec plus de crédibilité que lui-même.

Néanmoins, il nous faut prendre au sérieux cette pétition de principe « révolutionnaire » dont il se pourrait qu’elle nous fournisse la clef d’intelligibilité du macronisme. Après tout, Emmanuel Macron a intitulé son ouvrage de première campagne présidentielle Révolution. Il se réclamait de temps nouveaux et entendait rejeter dans les poubelles de l’Histoire le vieux monde, non sans accents évangéliques de born again de la République (ou de la monarchie ?). Volontiers « disruptif », il se veut homme de rupture et, pourquoi pas, de transgression, en l’occurrence des « tabous », un mot récurrent dans son discours. Il se rêve en président d’une start-up nation pour mieux se gausser des « Gaulois réfractaires ».

« En même temps » il se dévoile en conservateur profond. Il assume sans gêne les poncifs les plus éculés du roman national. Orléans, le Mont-Saint-Michel, le Puy du Fou, Notre-Dame de Paris délimitent sa géographie historique. Il reprend le vocabulaire traditionnel de la droite et souvent de l’extrême droite en répondant à l’explosion sociale des banlieues par la pensée magique de l’ « autorité », en se dressant contre l’immigration, en luttant contre les narcotrafiquants par l’organisation d’opérations « place nette » dont on a vu l’inanité en Amérique latine ou aux Philippines, en s’imposant dans la sphère intime de la famille pour contrôler les écrans des ados et augmenter le nombre des bébés, et en œuvrant pour que la France « reste la France » quitte à paraphraser Éric Zemmour. Il assume désormais la remise en cause du droit du sol, fût-ce à doses homéopathiques.

Par ailleurs sa « révolution » est surtout celle du capitalisme, en vue de sa systématisation à l’ensemble de la vie sociale, et au prix d’un siphonage radical du secteur public au bénéfice du secteur privé dans les domaines de la santé, de l’éducation, des transports, de la vieillesse, de la petite enfance, de l’administration. Chef de l’Etat, Emmanuel Macron est le fondé de pouvoir d’Uber, d’Airbnb et de McKinsey dont il aimerait simplement que les opérateurs soient des chouans ou des bâtisseurs de cathédrale.

Le slogan initial du macronisme, sous couvert de ricœurisme mal digéré, doit donc être pris au sérieux, et au pied de la lettre. Il s’agit d’être à la fois conservateur et révolutionnaire. Son attitude à l’égard de l’homosexualité est éloquente de ce point de vue.

Une part de son entourage politique le plus proche partage cette orientation sexuelle, à commencer par le Premier ministre, Gabriel Attal, et le nouveau ministre des Affaires étrangères, Stéphane Séjourné, lesquels ont d’ailleurs été compagnons « pacsés » en bonne et due forme de 2017 à 2022. Mais ce personnel politique gay friendly affiche des valeurs et un imaginaire politiques profondément conservateurs au point d’introduire dans la législation française la « préférence nationale » chère à la famille Le Pen, dont la loi contre l’immigration du 19 décembre a assuré la « victoire idéologique », de son propre dire. L’amour entre garçons, pourquoi pas, mais en uniforme et sans abaya.

Ce en quoi le macronisme ne se démarque pas autant de la droite ou de l’extrême droite qu’on pourrait le penser. Le premier ministre notoirement homosexuel dans un gouvernement français fut nommé par Giscard d’Estaing, le premier député à faire son coming out fut un chiraquien, et Marine Le Pen se tint à distance de la Manif pour tous, ne serait-ce que parce que son bras droit de l’époque était lui-même homosexuel.

Loin de nous, naturellement, l’idée de voir dans le macronisme un complot LGBT. Si tel eût été le cas, Clément Beaune serait encore au gouvernement. Mais le libéralisme sexuel peut se combiner avec des choix politiques ou économiques des plus conservateurs, même si la base électorale ou militante de la droite et de l’extrême droite demeure sourdement homophobe – tout comme les œillades de Marine Le Pen aux juifs et à Israël n’empêchent pas nombre de membres du Rassemblement national d’être antisémites. En Grèce, à la consternation de l’Église orthodoxe, un Kyriákos Mitsotákis fait voter le mariage entre personnes de même sexe tout en flirtant avec les néo-nazis d’Aube dorée.

La question est donc de savoir comment on peut « en même temps » être un Premier ministre homosexuel et dénoncer le « wokisme » ; reconnaître les crimes contre l’humanité dont s’est rendue coupable la colonisation et stigmatiser les études postcoloniales ; conjuguer la nostalgie de l’Ancien Régime et la start-up nation. De quoi ces contradictions apparentes, ou plutôt ces tensions sont-elles le nom ?

De quelque chose que nous connaissons très bien dans l’histoire européenne : à savoir la « révolution conservatrice » à laquelle en appela Hugo von Hofmannsthal lors de sa conférence « Les Lettres comme espace spirituel de la nation », donnée à Munich en 1927. Thomas Mann parlera plus tard, à ce propos, de « monde révolutionnaire et rétrograde », de « romantisme technicisé », dans une perspective critique[1]..

Quelle que fût leur appréciation normative, ces termes renvoyaient, à l’époque, au fascisme italien, au national-socialisme allemand, à toute une série de régimes autoritaires d’Europe centrale et orientale qui peu ou prou lorgnaient vers ces modèles, aux mouvements politiques de cette inspiration, de ce « champ magnétique »[2] qui travaillaient entre les deux guerres les démocraties libérales. J’y ajouterai pour ma part le régime de parti unique de Mustafa Kemal qui fascina la droite nationaliste allemande dans son refus du Diktat de la paix de Versailles – en l’occurrence du traité de Sèvres – et le « socialisme dans un seul pays » que fit prévaloir Staline en URSS, à partir de 1924, en épousant la passion nationale grand-russe, non sans obtenir de la sorte une certaine empathie de la part de la droite nationaliste allemande, anti-bourgeoise et anti-occidentale.

Dans tous ces régimes l’on retrouvait un tel alliage entre deux orientations apparemment contradictoires : d’une part, une volonté de rupture avec le monde ancien, ostensiblement méprisé, que l’on ne projetait pas de restaurer – à l’instar des réactionnaires à la Charles Maurras – mais que l’on voulait régénérer par l’exaltation d’un Homme nouveau grâce à une vraie révolution morale, culturelle, technologique, économique et même, parfois, sociale ; d’autre part, l’attachement à certaines catégories traditionnelles de la famille, de la sexualité, de l’autorité, de la nation, de l’identité culturelle, quitte à bousculer leurs cadres institutionnels tels que les Églises, l’école, l’Université, voire l’armée ou la famille elle-même, en dressant les enfants contre leurs parents, leurs professeurs, leurs généraux et leurs prêtres au nom des impératifs de la révolution.

De nos jours nombre de régimes renouent avec cette combinaison paradoxale. Ainsi de l’Inde de Narendra Modi, de la Russie de Vladimir Poutine, de la Turquie de Recep Tayyip Erdoğan, de la Hongrie de Viktor Orbán, de l’Israël de Benjamin Netanyahou, de l’Argentine de Javier Milei, et de bien des États subsahariens. Mon hypothèse, que j’ai hasardée depuis 2017 dans différents médias – Mediapart, Le Temps et Blast[3] – est qu’Emmanuel Macron participe de cette tendance globale. Affirmation qui nécessite immédiatement des mises en garde si l’on veut éviter que le débat ne s’égare dans les méandres de la polémique et d’une conception erronée de la comparaison.

##Comparer Macron avec d’autres figures révolutionnaires conservatrices

L’historien Paul Veyne nous rappelle que dans la langue française le verbe « comparer » comporte deux sens antithétiques : l’on compare à pour exprimer la similitude, l’on compare avec pour mettre en jeu la différence (ou la spécificité) au-delà de la similitude, éventuellement factice ou superficielle. Dans notre cas, il s’agit évidemment de comparer Emmanuel Macron avec d’autres figures politiques contemporaines ou de l’entre-deux-guerres. Le lecteur sera suffisamment charitable pour ne pas me reprocher de le comparer à Hitler, à Mussolini ou à Poutine. Et d’ailleurs il est moins question de comparer Emmanuel Macron à tel ou tel que de comparer la situation française d’aujourd’hui avec d’autres situations politiques, d’aujourd’hui ou d’hier.

Ce qui doit nous importer, ce sont bien des logiques de situation que servent des acteurs politiques, souvent à leur corps défendant, ou sans même qu’ils en soient conscients. Mon raisonnement relève de la sociologie historique et comparée du politique plutôt que d’une conception intentionnaliste des sciences sociales[4]. Cela ne diminue en rien le rôle et la responsabilité personnelle des acteurs – en l’occurrence d’Emmanuel Macron – mais nous interdit de limiter notre analyse à cette aune individuelle.

En d’autres termes il convient de distinguer les intentions ou l’orientation idéologique d’Emmanuel Macron et les dynamiques de situation dans lesquelles s’inscrit son action. Ces dynamiques sont celles des configurations politiques, sociales et culturelles du moment ou du passé immédiat. Mais elles sont également tributaires de l’historicité propre de la société française, de sa mémoire historique, de la panoplie des répertoires idéologiques et discursifs qu’elle a noués au fil des siècles, des rapports de force matériels et imaginaires qui se sont constitués dans le déroulé des événements.

Bref, le débat aurait tort de se cantonner à la seule personne du président de la République et de prendre pour argent comptant son auto-identification puérile à tel ou tel dieu de l’Antiquité grecque, Jupiter ou Vulcain, selon les circonstances. Son projet n’est certainement pas de faire le lit de Marine Le Pen. Il n’empêche que son action pave la route de celle-ci vers l’Elysée, en 2027, si tant est qu’une crise de régime ne survienne pas auparavant à la faveur de l’évidement progressif de son autorité.

##Logique de situation, 1

Doivent notamment être pris en considération cinq facteurs. Le premier d’entre eux est le positionnement politique qu’a choisi Emmanuel Macron en 2017. Loin d’être neuf celui-ci reprenait un vieux classique de l’histoire européenne : l’aspiration à un « État fort » dans une « économie saine » que réclamaient Carl Schmitt et les Neuliberalen dans l’entre-deux guerres, c’est-à-dire le rêve d’un « libéralisme autoritaire », selon la formule du critique de ce dernier, le juriste social-démocrate Hermann Heller.

Un tel positionnement, dans l’histoire française, a une lignée bien précise, celle de l’ « extrême-centre », qui part des « Perpétuels » de Thermidor aux technocrates néolibéraux d’aujourd’hui en passant par le réformisme autoritaire de Napoléon Ier et de Napoléon III, le saint-simonisme, les réformateurs étatistes de la fin de la Troisième République et de Vichy, les hauts fonctionnaires des Trente Glorieuses, puis de l’Âge néolibéral[5].

Or, la constante de cette orientation politique a toujours été une sourde défiance à l’encontre de la démocratie et du peuple, postulé incapable de comprendre le sens de l’Histoire, la nécessité des réformes, les bienfaits de l’accumulation primitive de capital. Des Gaulois réfractaires, vous dis-je ! Sans que l’on sache trop s’il connaît l’origine et la signification historique de cette expression, Emmanuel Macron se réclame explicitement de l’ « extrême centre ».

Cela ne le prédispose pas à jouer la démocratie contre la montée électorale de l’extrême droite qu’il prétend pourtant endiguer en appliquant son programme, à la façon d’un Viktor Orbán. Cela risque même de l’installer mécaniquement dans la position du chancelier Brüning, gouvernant par décret l’« économie saine » avant d’être balayé par le national-socialisme. Le recours immodéré aux ordonnances, aux décrets et au 49.3 participe de cette pesanteur.

D’ores et déjà Emmanuel Macron, tout jupitérien qu’il soit, entérine l’instauration d’une forme d’Etat corporatiste au sein duquel la Police et la FNSEA ont pris le contrôle, respectivement, du maintien de l’ordre et de l’agriculture, dans une perspective de défense d’intérêts catégoriels, déconnectée de l’intérêt général. Il est de plus en plus patent que l’armée prend le chemin de cette autonomisation, notamment dans le cadre du Conseil de défense, entité non constitutionnelle qu’avait mise en place François Mitterrand pour contourner le contrôle parlementaire et la réticence de son ministre de la Défense, Pierre Joxe, vis-à-vis de l’intervention militaire de la France au Rwanda.

De manière générale la conjonction de l’absence de majorité parlementaire, du libéralisme économique et du mépris de l’administration, qualifiée d’ « État profond », a conduit à la systématisation d’un gouvernement caméral, par conseils, désormais plus souvent privés que publics, dans les différents domaines de la vie de la nation.

##Logique de situation, 2

Un deuxième facteur est l’instauration à bas bruit, ces dernières décennies, d’un État policier sous couvert de lutte contre le terrorisme et contre l’immigration ou de la préparation des Jeux Olympiques, sous la pression continue de lobbies industriels, et à la faveur du développement des nouvelles technologies numériques.

Depuis vingt-cinq ans les lois liberticides se sont multipliées, la plupart des dispositions prises sous l’état d’urgence ont été ensuite introduites dans le droit ordinaire, et la numérisation du contrôle de nos vies privées ou professionnelles s’est amplifiée de manière exponentielle. Un habitus policier s’est imposé : à la population, singulièrement celle des banlieues populaires, mais aussi au gouvernement dont les ministres de l’Intérieur successifs ne sont plus que les représentants des syndicats policiers dans l’arène politique.

Le plus grave a trait non seulement à l’impuissance des organisations ou des institutions publiques en charge de la défense des libertés, mais aussi et surtout à l’indifférence ou l’inconscience des citoyens, en dépit des avertissements de personnalités souvent issues de la droite, telles que l’écrivain François Sureau, pourtant proche d’Emmanuel Macron, ou l’ancien Défenseur des droits, le chiraquien Jacques Toubon. Le consumérisme niais a désactivé la conscience politique critique, et les libertés sont allègrement sacrifiées sur l’autel du dernier modèle de l’iPhone.

Nous n’en prendrons qu’un exemple, tiré de la vie quotidienne. La généralisation des contrôles routiers automatiques, par radar et vidéosurveillance, a privé l’automobiliste de toute possibilité effective de contestation de son éventuelle verbalisation, y compris lorsque son identité a été usurpée ou lorsque la signalisation est défectueuse : tout simplement parce que l’agent administratif saisi de la réclamation ne peut y passer que quelques minutes, sans prendre connaissance du fond, et se contente donc de la rejeter, politique du chiffre oblige.

La France a été condamnée par la justice européenne, mais ne donne pas suite[6]. Demain les contrôles de la foule, puis des individus, par les technologies de l’intelligence artificielle, de la reconnaissance faciale et de la biométrie, dont le loup a été introduit dans la bergerie des Jeux Olympiques – comme en Chine –, livrera tout un chacun à l’arbitraire algorithmique de la Police.

Dans cette démission générale il n’est plus guère de personnes pour s’indigner de l’absence de tout juriste constitutionnaliste au sein du Conseil constitutionnel, par exemple, ou encore des crimes quotidiens contre l’humanité dont se rend coupable la France, au même titre que le reste de l’Union européenne, dans sa lutte contre l’immigration – laquelle provoque la mort, chaque année, de plusieurs milliers d’individus. Un ministre de l’Intérieur peut même benoitement annoncer qu’il n’appliquera pas les décisions de justice du Conseil d’État ou de la Cour européenne des droits de l’Homme et être reconduit dans ses fonctions.

Sans crainte du ridicule, un garde des Sceaux, pénaliste réputé, peut être blanchi par la Cour de justice de la République du chef d’accusation de prise illégale d’intérêts au prétexte qu’il n’avait pas compris le conflit desdits dans lequel il se trouvait. Un secrétaire général de l’Élysée, mis en examen, peut, sans sourciller, annoncer la composition d’un gouvernement dans lequel figure une ministre de la Culture elle-même mise en examen.

Nous sommes bien dans le gouvernement du grotesque, propice à la tyrannie. L’État de droit – sans même parler de la République « exemplaire » que revendiquait Emmanuel Macron – n’est plus qu’un trompe-l’œil qui ne parvient pas à faire oublier les dizaines de manifestants ou de simples passants mutilés par la répression policière et l’usage d’armes létales indignes d’une démocratie, violence institutionnelle qui vaut à la France des remontrances répétées de la part des Nations unies et des institutions européennes.

Autrement dit, sur plusieurs décennies, les gouvernements successifs, qu’ils soient de gauche, de droite ou d’ « en même temps », ont mis en place un arsenal législatif, réglementaire et coutumier qui donnera au Rassemblement national les clefs d’un État autoritaire contre lequel la société française n’a plus guère de défense immunitaire.

##Logique de situation, 3

Le troisième facteur qui menace insidieusement la République française est la mise en place d’un système de désinformation aux mains de l’extrême droite et de la droite traditionaliste, plus ou moins religieuse et identitariste, que relayent dans l’opinion les réseaux sociaux, parfois inféodés à des régimes révolutionnaires conservateurs étrangers, tels que celui de Vladimir Poutine.

Se diffusent de la sorte, dans les veines de la société française, les « minuscules doses d’arsenic » d’une novlangue dont un Victor Klemperer a magistralement démontré l’efficace au sujet du Troisième Reich[7]. Non seulement Emmanuel Macron – pas plus, cela va sans dire, que Les Républicains, désormais acquis à cette vision du monde – ne s’y oppose pas, en dépit de son animosité personnelle à l’encontre de Vincent Bolloré, mais il encourage ses ministres à investir ces médias, c’est-à-dire à en reprendre les codes de langage et le style culturel qui deviendra vite un « style de domination »[8] quand le Rassemblement national parviendra au pouvoir.

Dès maintenant cette adoption de la langue de l’identitarisme xénophobe se traduit en termes législatifs, comme on l’a vu avec le vote et la promulgation de la loi contre l’immigration qui certes a été en partie censurée, mais non pour des raisons de fond, plutôt parce qu’elle comportait des « cavaliers législatifs ». Chose plus grave, elle est en adéquation avec la pensée profonde du chef de l’État dont les choix sémantiques trahissent son adhésion à un imaginaire certes libéral et global – celui d’une « économie saine » – mais aussi autoritaire et bien franchouillard, celui d’un « État fort ».

La recherche de Damon Mayaffre, spécialiste au CNRS de linguistique informatique, est riche d’enseignements de ce point de vue. Elle démontre qu’Emmanuel Macron recourt de manière presque obsessionnelle au « r- à l’initiale », c’est-à-dire en début de mot : Retrouver, Recouvrer, Refonder, Restaurer, Reconstruire, Réarmer, etc. C’est au fil de ce penchant qu’il rebaptise Renaissance son mouvement En marche, qu’il crée un Conseil national de la refondation, qu’il institue un ministère de la Réinvention démocratique.

Ce vocabulaire donne une orientation particulière au r- à l’initiale de son désir de Révolution ou de Renaissance qui ne peut plus guère cacher ses « affinités électives » (Max Weber) avec la « renaissance » ou la « révolution nationale » de Philippe Pétain, lui aussi tiraillé entre une sensibilité purement réactionnaire et des velléités d’ « Homme nouveau » qu’incarnaient une partie de ses soutiens ou de ses alliés, souvent issus du catholicisme, et que l’on retrouvera parfois dans la réorganisation du patronat français au cours des Trente Glorieuses[9].

Il est d’ailleurs révélateur qu’Emmanuel Macron ait rabroué sa Première ministre Élisabeth Borne lorsque celle-ci condamna toute indulgence idéologique à l’égard de Philippe Pétain. Consciemment ou non, il reprend à son compte le vieux rêve de réconciliation – encore un r- à l’initiale – entre de Gaulle et Pétain que caressa longtemps l’extrême droite et qu’a réveillé Éric Zemmour pendant sa campagne présidentielle de 2022. Mais, « en même temps », son répertoire est martial, dans le domaine de la sécurité, de l’économie, de la santé, de la démographie.

Il est donc potentiellement compatible avec la thématique de la « guerre culturelle », le grand cheval de bataille des révolutionnaires conservateurs urbi et orbi qu’il a enfourché sans vergogne (ou invité sa garde rapprochée à enfourcher) en 2020 pour dénoncer le « wokisme », le « séparatisme », le « grand effacement », la « décivilisation » et autres énoncés chers à la Nouvelle Droite qui a su les instiller dans le débat public depuis la fin des années 1970 au point de les rendre hégémoniques[10].

##Logique de situation, 4

Un quatrième facteur intervient dans la dérive de la démocratie française, d’autant plus redoutable qu’il se pare des vertus de la décentralisation. Cette dernière peut donner naissance à des bonapartismes locaux, un « style de domination » dont Georges Frêche a été pionnier, à Montpellier, mais qu’illustrent aujourd’hui, d’un côté et de l’autre de l’échiquier politique, un Laurent Wauquiez, une Anne Hidalgo ou une Valérie Pécresse.

Lorsque l’orientation idéologique du César local s’y prête, il y a là un potentiel révolutionnaire conservateur que l’on ne doit pas négliger : parce qu’il est susceptible de s’actualiser dans des territoires où prévaut un régime de presse unique, sans contre-pouvoir médiatique, du fait du monopole dont jouissent les quotidiens régionaux ; parce que les collectivités locales, les associations, les institutions universitaires sont tributaires des subventions du conseil régional, voire du président ou de la présidente en personne ; parce que prévaut dans l’ensemble du territoire national une sourde défiance à l’encontre du « parisianisme », c’est-à-dire, souvent, des élites intellectuelles critiques.

Il sera sans doute difficile à un Laurent Wauquiez d’obtenir la suppression de l’enseignement de la sociologie dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, comme est parvenu à le faire son homologue de Floride, mais nous le voyons déjà faire un usage très discrétionnaire des subventions dans le domaine culturel, couper le financement régional de Sciences Po Grenoble suspecté d’islamo-gauchisme, exiger avec succès l’annulation d’un colloque universitaire sur la Palestine à Lyon.

Placés sous la coupe de la Place Beauvau et de l’Élysée, les préfets ne sont pas les meilleurs remparts de la défense de l’État de droit au niveau régional dès lors que l’Exécutif prend avec celui-ci des libertés croissantes à l’échelle nationale. Durant la pandémie de Covid-19 l’on a ainsi vu les uns et les autres marcher main dans la main pour imposer l’un des confinements les plus sévères et policiers de l’Europe, le ministère de l’Intérieur invitant, le 20 mars 2020, les maires et les préfets à utiliser la « totalité de leurs pouvoirs de police » pour durcir les mesures nationales, à l’image du maire de Nice qui venait de décréter un couvre-feu en sus des restrictions apportées par Paris à la circulation des personnes. 210 municipalités se sont prêtées de leur propre gré à la manœuvre.

Par ailleurs préfets et maires ont rivalisé de zèle pour interdire l’accès à des espaces verts ou sauvages, tels que forêts, plages et montagnes, dans une logique plus punitive que sanitaire, et au risque d’aggraver le coût mental du grand enfermement dont nous n’avons peut-être pas encore pris toute la mesure.

Le bonapartisme local rend d’autant plus menaçant l’amendement de la loi visant à renforcer la sécurité et la protection des élus, adopté le 7 février par le Parlement, et qui fait bénéficier tout « titulaire d’un mandat électif public ou candidat à un tel mandat » d’un délai de prescription d’un an pour porter plainte en cas de diffamation ou d’injure publique (au lieu de trois mois actuellement).

La porte est ouverte à la multiplication des procédures bâillons à l’initiative des édiles. Les organisations syndicales des journalistes y voient une épée de Damoclès pesant sur les rédactions et les éditeurs de presse alors qu’« énormément de maires ou de présidents de conseil régional mettent déjà une pression de dingue sur la presse quotidienne régionale », selon Christophe Bigot, président de l’Association des avocats praticiens du droit de la presse : « Sous le couvert de lutte contre la haine qui se déverse sur les réseaux sociaux, objectif légitime dans nos sociétés démocratiques, c’est toute la critique de l’action des élus qui est concernée »[11].

##Logique de situation, 5

Enfin il faut souligner que ces logiques de situation sont connectées à celles, du même ordre, qui prévalent à l’étranger. Sur notre continent, bien sûr, et d’autant plus que les libéraux ou les sociaux-démocrates n’ont pas le monopole de l’idée européenne, comme persistent à le croire les bons esprits. L’extrême droite ou la droite identitaristes ont elles aussi une conception plus ou moins partagée de l’Europe, en dépit des divisions de ces courants au Parlement de Strasbourg.

Tant et si bien que nous voyons maintenant Emmanuel Macron et Marine Le Pen rivaliser en amabilités à l’endroit de Giorgia Meloni ou de Viktor Orbán. Une part appréciable de l’échiquier politique, à l’extrême droite mais aussi à la gauche de la gauche – notamment, chez les Insoumis – affiche une certaine sympathie pour Vladimir Poutine, nonobstant son invasion de l’Ukraine. La France, de concert avec l’Italie et la Commission de l’Union européenne, flatte et finance l’erratique président Kaïs Saïed, héraut de la révolution conservatrice tunisienne, complotiste et antisémite, mais dont on escompte, bien naïvement, l’intercession dans l’endiguement de l’émigration africaine.

Un calcul infâme qui préside déjà aux relations de l’Europe avec les milices criminelles de Libye et le gouvernement de Recep Tayyip Erdoğan en Turquie. Emmanuel Macron a fait du pogromeur Narendra Modi l’invité d’honneur de la célébration du 14 juillet 2023 et a accepté d’être le sien pour la fête nationale indienne – Joe Biden ayant décliné ce privilège douteux – alors que l’inauguration du très contesté temple de Ram, à Ayodhya, lançait la campagne électorale sur les rails outrancièrement identitaristes et antimusulmans de l’hindutva.

Bien que la droite traditionaliste française soit plutôt catholique et relativement étrangère à l’univers charismatique de la Religious Right étatsunienne et que les questions de mœurs n’aient pas la même acuité dans l’Hexagone qu’en Amérique, la victoire électorale de Donald Trump donnera(it) un coup de fouet à la révolution conservatrice qui s’est enclenchée en France et dont Emmanuel Macron est devenu nolens volens le fourrier. On sait combien les réseaux d’influence liés à l’alt-right sont très actifs en Europe, à partir de Budapest, Bruxelles et Rome, même si Steve Bannon n’y a pas rencontré tous les succès qu’il escomptait. Ses techniques et son style de communication font en tout cas florès et empoisonnent désormais la démocratie française d’un jet continu de « minuscules doses d’arsenic ».

Enfin, dans la légitime émotion qu’ont suscitée l’offensive du Hamas, le 7 octobre, et les crimes contre l’humanité auxquels elle a donné lieu, les relais de la droite et de l’extrême-droite israéliennes dans l’Hexagone ont intensifié leur pression idéologique et sont largement parvenus à neutraliser toute réflexion indépendante, notamment universitaire, sur la fuite en avant « illibérale » de Benjamin Netanyahou, sur sa compromission avec le suprémacisme juif et sur la question palestinienne, en assimilant la critique du gouvernement de Tel Aviv/Jérusalem à l’antisionisme et à l’antisémitisme, non sans bénéficier de l’appui d’Emmanuel Macron dont les ministres et les préfets ont pris différentes mesures règlementaires et policières pour étouffer le débat, quitte à mettre un peu plus en péril la liberté scientifique.

Agissant comme de véritables milices numériques, des groupes comme la « Brigade juive » (récemment rebaptisée « Dragons célestes »), « Swords of Salomon » ou « AmIsraël-Team Action » pratiquent le doxing à l’encontre de militants, de journalistes, d’élus, d’avocats jugés pro-Palestiniens en publiant leurs coordonnées personnelles sur les réseaux sociaux pour déclencher une campagne de harcèlement téléphonique contre eux et leurs proches. Une chercheuse comme Florence Bergeaud-Blackler ne répugne pas à s’associer à ce genre de procédés en taxant dans ses derniers écrits de « fréristes » (c’est-à-dire de « Frères musulmans » ou de soutiens de ceux-ci) tels ou tels de ses collègues ou diverses personnalités[12].

##L’enchaînement des bifurcations

Encore une fois ce serait mal lire cet article que d’en réduire l’analyse au seul niveau de l’intentionnalité des acteurs et de la cohérence de leurs politiques publiques. L’essentiel tient aux effets d’enchaînements, souvent involontaires, voire non pensés, à l’enfilement de bifurcations parfois anodines dont l’historien Philippe Burrin a dégagé l’importance dans les itinéraires personnels des parties prenantes des révolutions conservatrices de l’entre-deux-guerres et de la collaboration avec l’occupant nazi[13]. Les circonstances dans lesquelles s’effectuent ces choix et ces glissements sont fréquemment contingentes, tantôt dramatiques tantôt banales.

De ce point de vue la pandémie de la Covid-19, la préparation des Jeux Olympiques de 2024, l’acceptation implicite et progressive de la numérisation du monde sans qu’aucune protection réelle des libertés publiques ne soit mise en œuvre, sa marchandisation effrénée et la privatisation de l’espace public qui s’en suit apparaîtront sans doute aux historiens comme autant d’antichambres de l’État autoritaire qu’érigera le Rassemblement national en 2027, sinon avant en cas d’effondrement des institutions.

On ne pourra comprendre ce basculement de la France, « patrie des droits de l’Homme », dans la révolution conservatrice que si l’on voit comment celle-ci répond, là comme ailleurs, au ressentiment – le grand carburant émotionnel de ce genre de régimes[14] – d’une partie croissante de la population. Ressentiment que nourrissent l’accroissement, de plus en plus indécent, des inégalités, le déclin économique des classes moyennes, l’assombrissement de l’avenir ; l’impression du déclassement de la France et plus largement de l’Europe ou du monde occidental face à la montée de la Chine ; la nostalgie confuse de la « perte de l’Empire », de rose colorié sur les cartes des écoles communales qu’ont encore fréquentées les vieilles générations ; ou encore le traumatisme de la guerre d’Algérie que des dizaines de milliers d’appelés et de rapatriés ont inoculé dans les provinces faute de reconnaissance publique des faits, pudiquement qualifiés d’ « événements ».

Et aussi colère rentrée – traduction plus fidèle du der Groll de Max Scheler que le terme de ressentiment[15] – à l’encontre des technocrates, des intellos et des bobos de Paris, une colère dont les Bonnets rouges, en 2013, les Gilets jaunes, en 2018, et les paysans, en janvier 2024, ont été la pointe acérée, mais que nombre d’observateurs disent sentir frémir dans les profondeurs du pays et que met en forme électorale le Rassemblement national.

Autant de malheurs, autant d’iniquités dont on impute la responsabilité à l’Autre, fût-il de l’intérieur : l’étranger, l’immigré, le réfugié. La corde est usée, mais elle sert encore. La similitude avec la fin du XIXe siècle et l’entre-deux guerres est troublante, et elle n’a rien de rassurant. Seul le visage de l’Idiot utile de service a changé : hier le Juif, le Rital, le Polak, le Chinois ou l’Asian ; aujourd’hui l’Arabe, le Musulman, le Noir et à nouveau le Juif, supposé tirer les ficelles du capitalisme financier débridé et, bien sûr, du massacre de masse de Gaza, sans oublier le 11 Septembre et, pourquoi pas, les atrocités de l’attaque du Hamas, le 7 octobre 2023, dans lesquelles d’aucuns reconnaissent sans trop de difficultés la main du Mossad.

Vue sous ces angles, la révolution conservatrice qui est en marche en France est banale, à l’aune de ce qu’il se passe dans le reste du monde. Y compris en ce qu’elle accompagne le passage d’un monde d’empires, gouvernant ses possessions par le truchement de la diversité ethnique et religieuse, à un monde d’États-nations dont la domination est centralisatrice et unificatrice et dont la définition de la citoyenneté est d’orientation ethno-religieuse, au prix de l’assimilation coercitive, voire de la purification ethnique[16].

La transformation de l’idée laïque, instituant la séparation de la religion et de l’État et la neutralité de celui-ci par rapport à celle-là, en laïcité comme nouvelle religion nationale participe de cette logique de situation[17]. L’arrogance universaliste de la Grande Nation ne changera rien à sa commensurabilité avec la Russie de Poutine, l’Inde de Modi, la Turquie d’Erdoğan ou la Hongrie d’Orbán, sans même parler de l’Amérique de Trump.

##La responsabilité de Jupiter

Les partisans d’Emmanuel Macron en tirent la conclusion que celui-ci ne peut être tenu pour responsable d’une montée de l’identitarisme qui frappe l’ensemble du monde. À ce plaidoyer pro domo j’oppose plusieurs objections. Les unes relèvent de la trivialité du jeu politique. Pour garantir sa réélection en 2022 Emmanuel Macron a conclu un pacte faustien avec Nicolas Sarkozy, tenant de la « laïcité positive » et de l’ « identité nationale » à laquelle il avait dédié un ministère en charge également de l’immigration pour que les choses soient bien claires, et auteur de l’ignoble discours de Grenoble en 2010.

Avec la même intention Emmanuel Macron a lancé, en 2020, une campagne de rectification idéologique contre les études de genre, les études postcoloniales, le wokisme à laquelle il a attelé son Premier ministre Jean Castex, son ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer et sa ministre de l’Enseignement supérieur Frédérique Vidal, sans répugner à entonner la ritournelle de la Nouvelle Droite d’Alain de Benoist.

Entre exaltation du Mont-Saint-Michel comme « emblème de l’universalisme français », participation à la messe du Pape François à Marseille, célébration de la fête juive d’Hanoukka dans l’enceinte de l’Élysée et complaisance extrême à l’égard de l’enseignement privé catholique sous contrat avec l’État, de facto exonéré de ses obligations légales en matière de respect de la liberté religieuse et philosophique de ses élèves, il s’est définitivement affranchi, en 2023, de l’idée laïque dans l’espoir de contenter Sa Majesté médiatique Vincent Bolloré et l’électorat de la droite traditionaliste ou extrême.

La compromission avec cette dernière est donc allée jusqu’au vote de la loi scélérate contre l’immigration, non sans reprendre les éléments de langage du Rassemblement national ou de Reconquête ! sous forme de couper/coller. Elle se poursuit sous nos yeux avec la volonté d’abroger le droit du sol à Mayotte et l’indivisibilité de la République.

Sous la loupe des historiens la responsabilité personnelle d’Emmanuel Macron dans l’accession au pouvoir du Rassemblement national sera sans nul doute écrasante. Et d’autant plus évidente qu’au fond il adhère sans doute largement, dans son intimité, sinon aux idées de celui-ci, du moins à sa conception de la nation et de l’histoire françaises, ainsi qu’il l’a laissé poindre dès sa première campagne présidentielle. On ne poursuit pas sans dommages ses études secondaires dans l’enseignement catholique…

Néanmoins, les « affinités électives » du macronisme avec la révolution conservatrice sont plus profondes que l’écume du petit jeu politicien ou des aléas biographiques. Entre les deux guerres, les révolutions conservatrices, dans leurs différents avatars – fasciste, national-socialiste, kémaliste, stalinien, etc. – avaient affaire avec le traumatisme de la guerre, de la défaite (ou de la « victoire mutilée » dans le cas de l’Italie) et de la terrible pauvreté qui s’en était suivie. Nous n’en sommes pas (encore ?) là.

En revanche nous retrouvons dans notre époque immédiatement contemporaine deux autres ingrédients des révolutions conservatrices de l’entre-deux guerres. D’une part, les logiques de « masse », dont un Elias Canetti avait eu une profonde intuition, sous les visages de la « société de masse » de l’industrialisation, de l’urbanisation et des mass media, de la « guerre totale », des pandémies – à commencer par celle de la grippe dite espagnole qui causa la mort de plus de personnes que la Première Guerre mondiale[18].

D’autre part, la mise en concurrence généralisée des individus, dans le cadre d’un capitalisme et d’un État de plus en plus abstraits et propices aux explications complotistes de la marche du monde, selon les hypothèses respectives de Max Scheler et de Luc Boltanski[19].

Or, la politique d’Emmanuel Macron est liée à ces deux phénomènes. Il promeut un capitalisme financier qui se confond avec sa numérisation croissante, formidable accélérateur des effets de masse, en particulier par le biais des réseaux bien peu sociaux, et met en concurrence exacerbée les individus, non sans ériger le burn-out en maladie professionnelle du siècle. Il confie le gouvernement de la cité – et l’avenir des adolescents, par le biais de Parcoursup – à des algorithmes ô combien abstraits et énigmatiques pour le commun des mortels. Il assume sans scrupules l’ « ubérisation » du marché de l’emploi et le démantèlement de l’État-providence en acceptant d’accroître le sentiment d’incertitude et de déclassement de la majeure partie de la population, classes moyennes comprises.

En outre, la contingence de l’histoire a voulu qu’il ait dû faire face à la pandémie de la Covid-19. Un défi qu’il a relevé en mettant en scène, sur le mode martial qu’il affectionne, une guerre totale contre la maladie, menée dans l’enceinte camérale et aconstitutionnelle du Conseil de défense et du Conseil scientifique, et en imposant au pays une « expérience d’obéissance de masse » [20], un régime de soupçon généralisé à l’encontre des citoyens à partir de la procédure de l’ « attestation » (et de son éventuel contournement frauduleux, systématiquement suspecté par les forces de l’ordre), l’obligation de la vaccination, le fichage et la traque de la population, tout cela bien au-delà des seules nécessités sanitaires.

Trop souvent le débat – et la polémique – autour de la dérive « illibérale » de la France est réduite à la seule figure, honnie ou (de moins en moins) appréciée, du président de la République. Quelle que soit l’hybris jupitérienne ou vulcanienne de ce dernier, son action s’inscrit dans un jeu de forces, à la fois synchronique et diachronique, dont il est souvent le simple jouet. Il est plus important de réfléchir à des enchaînements complexes de circonstances contingentes et hétérogènes qui enclenchent, dans des situations historiques concrètes, de nouvelles configurations : ce que j’ai nommé des « moments d’historicité ».

Il n’a pas été suffisamment relevé, par exemple, que les émeutiers de juin 2023 ont été des enfants de la Covid qui ont vécu, à un âge compliqué et vulnérable, les effets délétères d’un confinement policier particulièrement autoritaire dans leurs quartiers populaires, ayant donné lieu à un sur-contrôle et une sur-verbalisation de la jeunesse, dans des conditions de promiscuité pénibles du fait de l’exiguïté des logements.

Si l’on ajoute à cela le mépris de classe et la relégation dont leurs parents ont fait l’objet après avoir été flattés et même exaltés par le verbe présidentiel pour leur rôle en « première ligne » pendant la pandémie, tous les ingrédients ont été réunis pour l’explosion de leur colère ou de leur rage qui ont été immédiatement criminalisées, « racialisées » et réprimées et ont fourni un argumentaire facile aux tenants de l’ordre et de l’autorité, sans que la moindre attention soit portée à la question de l’inégalité croissante qu’engendrent l’ubérisation de l’économie et le démantèlement des services publics.

De même la pandémie et le confinement ont accéléré la numérisation de la société en contribuant à sa déshumanisation et à son abstraction croissantes, propices aux théories complotistes, et à son contrôle policier, potentiellement totalitaire. Mais la crise sanitaire de 2020-2021 s’est insérée dans le prolongement des politiques néolibérales suivies depuis les années 1980 et de la surveillance policière de l’Hexagone que n’ont cessé de reconduire, au fil des décennies, l’Occupation allemande, la guerre d’Algérie, la lutte contre le communisme et le gauchisme, la chasse aux migrants, les dispositions de la lutte anti-terroriste et de l’état d’urgence, et enfin la « guerre » contre le virus.

La révolution conservatrice qui est en marche en France, comme dans de nombreux pays, n’est pas un caprice du prince, mais un fait de société et d’histoire que l’on observe dans l’un des États occidentaux les plus centralisés et les plus coercitifs en termes de ratio forces de l’ordre/population, de contrôles d’identité et de violences policières, et dans lequel le pluralisme de la presse n’est plus de mise sur une bonne partie de son territoire. C’est ce qui la rend d’autant plus inquiétante.

Neuf ans après une première tentative de réintroduction dans le code pénal de la déchéance de nationalité, la République française renoue avec l’État français de Vichy en s’attaquant maintenant au droit du sol, héritage de 1789, pour donner satisfaction à l’électorat de l’extrême droite et valider la « victoire idéologique » de cette dernière. Comme dans les pages les plus sombres de notre histoire l’étranger et les colonies fournissent à nouveau le banc d’essai de l’autoritarisme xénophobe et raciste. Plus qu’un symptôme, des retrouvailles, une résurgence. Bref, des « r- à l’initiale », en pagaille.


Jean-François Bayart

POLITISTE, PROFESSEUR À L'IHEID DE GENÈVE TITULAIRE DE LA CHAIRE YVES OLTRAMARE "RELIGION ET POLITIQUE DANS LE MONDE CONTEMPORAIN"

 

Ofek Atun escaped the outdoor Nova rave with his girlfriend. They survived the assault on the bomb shelter in which they took refuge, before fleeing to nearby Kibbutz Alumim. The kibbutz's volunteer security squad mistook them for Hamas terrorists – and opened fire


A regular morning at Kibbutz Alumim. At the entrance to the kibbutz, one of the residents is weeding, not far from there, a house is being renovated. Cement, plaster, paint – whatever is needed to erase the recent past. Bullet holes still scar several walls, the door to the safe room is pierced five times. The rest of the house seems to have been taken from another place; everything is carefully arranged, as if life never came to a stop. As if it is still a safe shelter from the massacre of October 7.

For Ofek Atun, a resident of Holon in central Israel, it nearly was. Along with his partner Tamar, he escaped from the Nova music festival where Hamas terrorists massacred hundreds of partygoers, and managed to run to a bomb shelter near the kibbutz, which was also attacked. They survived that onslaught as well, finally coming to a house in the kibbutz, home to an elderly couple who were hiding in the safe room.

There, Ofek and Tamar called the police, and waited. When members of the kibbutz's community volunteer security squad came to help the elderly couple, one of them saw a man dressed in white in front of him, and thought he was a terrorist. He shot him. Ofek Atun was 24 years old when he died.

A Haaretz investigation traces Atun's path during his final few hours, as dozens of terrorists raided the small community which found itself defenseless, confused, trying with little strength to stand guard, to save residents in the fog of battle.

The investigation, which relies on interviews with Atun's family, his girlfriend and members of the kibbutz's staff and community security squad, along with security footage and recorded phone calls from the morning of October 7, paints a complex, still partial picture – one that does not give rest to Atun's grieving parents, Nitza and Haim. It's possible that what happened inside the house in Ofek's final moments will never be known.

At 7:51 in the morning Atun was already dead, one of about 40 people to be killed on the kibbutz grounds, according to official records. 23 of the dead were foreigners or security personnel. Not a single resident of the kibbutz was killed.

Just four hours earlier, Atun, Tamar and three other friends were driving towards the Re'im parking lot, before making their way to the festival. In retrospect, Tamar says that she didn't want to go at all, but the parties and the music, she says, were Ofek's life. "Kiko", as his parents called him, dreamed of becoming a musician. In his room in Holon, which is now a monument to him, he even built a home studio where he produced trance music, .

They were at the party for barely two and a half hours, when a passerby approached them in line to the bathroom and told them to look towards Gaza, where missiles were being fired in the direction of Israel. They hurried to collect their things and got into the car. Since they came late – they were able to leave first, avoiding the traffic jam that formed behind them. They were traveling north, with no navigation or mobile internet reception. As they travelled, the rocket fire followed them.

But then, when they thought they were already out of danger, they were stopped by a security vehicle of one of the nearby communities. The security personnel ordered them to turn back and drive towards Kibbutz Alumim. "They told them to make a u-turn towards death," says Nitza, Ofek's mother.

At the time, Ofek's parents didn't even know he was there. He told them that he was going to sleep at his girlfriend's home. But when the rocket alarms started blaring in the morning, along with more and more talk of the rave near the border with Gaza, they grew worried.

"Suddenly, Ofek pops into my head," Nitza says, and his father Haim continues: "I said, wait, wait, my son goes to these parties. I called many times and he didn't answer, I called Tamar and she was on hold. Then when she answered, she started talking in whispers."

Nitza, for her part, sent a text message, seemingly innocent, asking Tamar how they were. "We are hiding at a house, there are shots here," Tamar replied to the increasingly frightened Nitza. "I didn't understand what I was reading at all," she said. "Then I heard Haim, who was talking to her on the phone, shouting 'Who's dead, who's dead'."

Ofek died, Tamar was injured. Nitza went into a shock that would last two months.

##Ofek and Tamar did not know

Kibbutz Alumim is about 12 kilometers from the Re'im parking lot, on the west of Highway 232 – the side closer to the Gaza Strip. Three army outposts were supposed to protect it. Two of them, Nahal Oz and Paga, were hit on October 7 and failed to prevent the attack. Over time, additional military forces started arriving, but much of the burden fell on the 12-member community volunteer security squad, and three residents who joined it.

Facing them were dozens of terrorists who came in two waves of attacks from the Shujaiyeh neighborhood in Gaza. The kibbutz's security cameras captured the raid. At 7:01, the terrorists entered through the back gate. At 7:04, they reached the cowshed, shooting and throwing grenades at the foreign workers' quarters. At 7:08, they arrived at the clinic, which is in the center of the kibbutz. A minute later, they noticed a group of people who fled Nova, massacred them one by one, and at 7:14 started shooting at the nearby bomb shelter and throwing grenades into it.

Ofek and Tamar were in one corner of the shelter, along with a few dozen others who escaped from the party, and one policeman. At first, as can be seen and heard in the videos, they believed that it was IDF soldiers who were shooting, and that they would soon be rescued. However, they quickly realized that the fire was targeting them. "People screamed, called their parents, said their goodbyes," Tamar recalls. "Girls clung to me and asked me if they could hug me."

Both her and Ofek were slightly injured by shrapnel from one of the grenades. Ofek in the leg and Tamar in the back. Again, they thought that their lives had been saved.

After leaving the shelter, while most of the group ran east towards the nearby fields, Ofek and Tamar are seen in footage from the kibbutz's security cameras running towards the entrance to the kibbutz, passing through the yellow gate of the kibbutz which was wide open, and turning towards one of the first rows of houses.

On the way, they passed the body of one partygoer, who, like them, ran away from the rave, but was ultimately murdered by one of the terrorists. The below footage of the two, taken at 7:23 A.M., is the last time Ofek was seen alive. When the couple entered the kibbutz, they did not know that there were no longer terrorists there.

Israel's security establishment cannot give an unequivocal answer as to why the terrorist squads withdrew from the kibbutz. Four minutes earlier, the squad's commander was hit by gunfire in his upper body, possibly from Israeli soldiers or a police officer who was there. He was evacuated, and for one reason or another all the other terrorists left as well.

However, Ofek and Tamar were not aware of this. The couple, certain that their lives were at stake, started knocking on doors, house after house, to no avail. It is likely that all residents were inside their safe rooms, but in any case, who would open the door when, as far as they knew, terrorists were roaming inside the kibbutz?

At some point, Ofek decided to break into one of the houses through the window, and opened the door to Tamar from the inside. "We thought there was no one at home, it looked as if they were abroad," Tamar said. "We tried to enter the safe room, but it was locked."

The home belonged to an elderly couple who had indeed locked themselves in the safe room. Looking at the safe room's door from the inside, they saw how the handle was moving up and down, and heard Tamar telling Ofek in Hebrew, "Open it, open it."

The young couple were sure that the terrorists were on their tail, and the elderly couple thought that Ofek and Tamar were Hamas terrorists who could kill them at any moment. They then decided to call the community security squad for help.

All this time, Tamar and Ofek tried to hide. First, under the bed in the bedroom, then in the wardrobe, and finally in the shower. Ofek equipped himself with a kitchen knife to protect Tamar, who, fearing for their lives, decided to call the police. The time is 7:31.

Operator: Police, Tehila speaking.

Tamar: Listen, I'm at some kibbutz, I don't know where, there are terrorists here.

Operator: Where are you?

Tamar: I don't know.

Operator: Where are you? Where you are located?

Ofek: At a kibbutz.

Operator: What kibbutz is that? Hello? Stay with me please, in which community are you?

Ofek: Alumim.

Operator: Alumim. One second. No problem, okay, we're on our way. Tell me exactly what you saw, how many people [assailants] there are.

Ofek: Please come here.

Operator: Are you hiding?

Ofek: Yes, but I don't know what to do... Grenades.

Operator: Listen, a police car is on its way to you. Please stay calm. I don't know exactly how long it will take for them to arrive. Are they shooting at you right now?

Ofek: Yes.

Operator: Where exactly are you? Are you currently hiding?

Ofek: In a house, we broke in.

##The shooting of Ofek and the conflicting versions

The police operator managed to pinpoint the location of Ofek and Tamar, and asked them to remain calm. Neither she nor they knew that at those very moments, the community security squad was already outside the house, preparing to evacuate the elderly couple from it. As far as they were concerned, the couple were in danger, and needed to be rescued urgently.

In the background, they hear gunfire from the direction of Highway 232, and at least three other families at the kibbutz have alerted that terrorists were trying infiltrate their homes. The response team's commander says that he made sure that there were no terrorists around the house, and only then were the elderly couple evacuated through the safe room's window. According to him, the rescue was done quietly because the team believed that there were terrorists inside the house.

From this point, there are several versions of events that are very difficult to reconcile. What is known, based on conversations with several kibbutz members and the response team, is that a local soldier joined the team, and entered the safe room through the window armed with a pistol. At the same time, a security squad member provided cover from outside the house, resting the barrel of his rifle on the window sill. Then, the soldier opened the door of the safe room, behind which Ofek was hiding.

According to the response team member's version (who spoke with one of Ofek's family members about a week later), he heard a curse in Hebrew and fired several bullets at the door of the safe room. After that, he did not see the soldier nor Ofek. He says he understood from the soldier that there was a struggle, after which the soldier managed to free himself from Ofek's grip, which is when he shot him. Afterwords, the soldier went back out through the safe room window as the response team member continued providing cover.

The team commander corroborates this version. According to him, immediately after the elderly couple's evacuation, the soldier came to him and said that he was attacked from behind by a terrorist dressed in white, and in response shot him. According to him, 14 bullets were fired. According to another member of the team, he "emptied the magazine." Either way, many rounds were fired, and Ofek was killed instantly.

Tamar, however, who during the shooting was hiding in the shower with the glass door shut, tells a different version of events. She insists that she didn't hear any swearing, nor any struggle between the two. Only direct, short burst of fire, certainly not a whole magazine. "I know there was no struggle," she repeats. "I saw him dead, he didn't respond. I heard Hebrew from outside and I went to the door of the house."

On her way out, Tamar was also shot, directly in the stomach. The shooter was the team's commander. He says he saw what the soldier had reported to him – a terrorist wearing a white shirt. He later said that he "instinctively" fired once, before stopping.

He told the response team that no one should come near. He stressed to the kibbutz members that at that stage, like the rest of the country, they didn't know about the Nova rave massacre and the survivors looking for shelter at nearby communities.

When Tamar started speaking, they began to understand what had happened. "Help, help. Oh god, I'm Israeli, Tamar," she is heard saying in the real-time recording. "Terrorists, they came out, I'm wounded, I'm dead. That's it. Terrorists in front of my face, Ofek is dead, my boyfriend is dead, Ofek is dead."

The realization that the couple were Israeli surprised the team. One member said that they approached the house with the understanding that terrorists were inside, because shortly before that terrorists had attacked at other areas of the kibbutz gate.

Last Thursday, the team commander and several other kibbutz members met Tamar and members of the Atun family at the scene of the tragedy. The team's commander accepted responsibility for his actions. "It wasn't easy, but we did what we did, as we had to do," he told Tamar. "You have to take responsibility for both the good things and the bad things. I take responsibility for what I did, it was me who shot you."

Even after she was shot, Tamar had a few more moments of tension and anxiety. At around 12:00, the community security sqaud evacuated her to Soroka Hospital in Be'er Sheva. As the vehicle left the kibbutz, it was ambushed, and the medic sitting next to her was wounded in his hand. This time, Tamar was unhurt and arrived at the hospital safely. She was hospitalized for two and a half months. Today, she is still in the process of recovery, and it remains to be seen if and when it will end.

##Three Shiva Mourning Periods

Tamar and Ofek's incident did not mark the end of the day of battle at Alumim. Later, the kibbutz had to deal with additional infiltrations by terrorists, from three separate points. Seven Israeli fighting forces, led by the community security squad, took part in the fighting, and successfully repelled the terrorist squads. However, four Israelis were killed, two foreigners were kidnapped, and an Air Force helicopter was shot down.

A short time later, conclusions started being drawn. On the very same night, the kibbutz informed its members about what happened at that home. "A complex event", they say. The Atun family was told what transpired by members of the kibbutz while sitting shiva for Ofek. His parents had a hard time digesting it.

The kibbutz members returned on the 30th day of Ofek's death, but it was evident that the parents were still in shock. It wasn't until the end of November, when Ofek's father, Haim, came to Alumim to see where it all happened, that the story began to percolate.

It took some time for Tamar to realize that those who shot her and her loved one were members of the community security squad and not terrorists. "I went crazy," she says, "it's like having to digest it all over again." Nitza, Ofek's mother, says she sat shiva for her son three times: once when Tamar told her he had been killed, the second time five days later when his body was brought for burial, and the third time when she realized he had been accidentally shot by the security squad.

Even last Thursday, when the family members visited the kibbutz with Tamar and spoke with the security squad commander, doubts over Ofek's death did not dissipate. They are still convinced that he did not attack the soldier in the house. And yet, they don't want the soldier to be punished. "I don't blame him, I can understand the situation," Tamar says, but adds: "I'm angry that he doesn't come and talk, come tell us the truth."

Until today, the soldier hasn't contacted Tamar or Ofek's parents. On Thursday morning, Haim Atun decided to take the initiative and call him. It was a short, tense conversation. The soldier told Atun that he was "not yet ready to discuss the case". Haim was left without answers to difficult questions about his son's death. "We are restless," explains Nitza, "we will probably never rest, but at least we will know the truth." The soldier did not respond to Haaretz's inquiries.

The story of Ofek's final hours, in fact, was already told in public. A few weeks ago, at an evening celebrating the army reserves at a university in central Israel, a member of the kibbutz's community security squad – a professor at the university – took the stage. He told about everything that happened that Saturday in the kibbutz, including some of what happened in the home of the elderly couple.

"For some reason, [Ofek and Tamar] did not communicate with the [elderly couple] that was in the safe room nor with the security squad that asked them who they were, and this is the tragic result," he said, withtout elaborating further. The audience was stunned.

Nitza is also still stunned, struggling to process, but she recently came to a realization. Ofek, her "Kiko", was not murdered "by the hands of the wicked", as is written on his tombstone in the section of the Nova festival victims in the Holon cemetery. Now she wants to change the inscription. Father Haim is ambivalent. "He died because of them in the end," he says. But Nitza emphasizes: "Yes, but not by their hands."

The heavy grief is evident in every muscle in the faces of Haim and Nitza Atun as they sit in their home in Holon. They try to put together the pieces of the story they heard into a complete, or almost complete, narrative. Nitza has not entered Ofek's room even once since that Saturday; There are still cigarette butts in the ashtray.

On one of the walls is a picture of Ofek as a little boy, on the sheets it says "be happy." Both parents tattooed the portrait of their son on their arms – a happy young man, DJing, with two angel wings, and the nickname "Kiko" in English.

On one of his hands, Haim also tattooed a picture of Ofek while at a festival in Portugal; Shirtless, wearing sunglasses with a beaded necklace resting on his chest. The necklace is now in his room, given to them in a plastic bag by the police.

In response to the investigation, Kibbutz Alumim said that it "regrets and hurts over the chain of events that led to the tragic incident."

According to the kibbutz, "the community's volunteer security squad rescued the [elderly couple] from the window of the safe room and then entered the house, where they noticed the late Ofek charging towards them holding a knife in his hand, and unfortunately they shot him dead. Immediately after that, they searched the house and also shot Tamar when she tried to escape."

"On October 7, the community security squad fought bravely, killing dozens of terrorists who infiltrated the kibbutz. Some members of response team and kibbutz members were injured, and after eight hours of fighting when the army arrived – the terrorists were no longer in the kibbutz."

"We share in the grief of the Atun family. We hosted them in the kibbutz and traced the events of that tragic morning with them. We embrace them in our hearts, grieve the tragic event, and commit to remember the late Ofek forever."

 

The ultimate aim of this gang is "purging" the West Bank of its Palestinian inhabitants, cleansing the Temple Mount of its Muslim worshippers and annexing the territories to the state of Israel. This aim will not be achieved without extensive violent conflict. Armageddon


The supreme aim of the far-right duo National Security Minister Itamar Ben-Gvir and Finance Minister Bezalel Smotrich is not the occupation of the Gaza Strip.

Even settlement throughout the devastated Strip is not the final goal of the bunch of messianic hallucinators that has seized power in the state of Israel. Gaza is just the introductory chapter, the platform this gang wants to build as the foundation upon which the real fight they are eyeing will be conducted: the battle for the West Bank and the Temple Mount.

The ultimate aim of this gang is "purging" the West Bank of its Palestinian inhabitants, cleansing the Temple Mount of its Muslim worshippers and annexing the territories to the state of Israel. The way to achieve this goal is blood-soaked. Israeli blood, in the state and in the territories it has been controlling for 57 years now, as well as Jewish blood in places elsewhere in the world. As well as a lot of Palestinian blood, of course, in the territories, in Jerusalem and if there is no alternative – also among Arab citizens of Israel.

This aim will not be achieved without extensive violent conflict. Armageddon. All-out war. In the south, in Jerusalem, in the territories of the West Bank and to the extent necessary also on the northern border. Such a war will bolster the impression that we are fighting for our lives, for our very existence. In a war for survival, it is permissible to do insufferable things, and the hilltop youth are proving daily that among them are many who are capable of precisely that.

This gang of pogromists has been successful in the first stage prior to the uproar and all-out war that they apparently hope will erupt here. They have taken control of the government of Israel and have made the man who heads it into their servant. The possibility that they will dismantle the government and kick the prime minister out of running the matters of state is not outlandish. It is a process that is taking place at this very moment, step by step.

First, Ben-Gvir and Smotrich decided in effect to sacrifice the hostages. With the intention of preventing the possibility of an end to the successful military campaign that has thus far brought impressive successes to the Israel Defense Forces, even if at a high price. It is clear that we are far from "total victory." Such a victory is not possible. Even if the military action continues for many more months, the price it is exacting is not worth the "vision" of a victory there is no real possibility of achieving.

Continuing the military action now will drag Israel into Rafah – and that is what they want. Such a move will palpably and immediately endanger the peace agreement between Israel and Egypt. There is no doubt that Egypt, Jordan, the United Arab Emirates and also the Palestinian Authority and Saudi Arabia are all hoping for Hamas to crash and collapse. However, Egypt knows there is a considerable chance that continuation of Israeli military activity will stir the Muslim Brotherhood out of its dormancy.

Egypt has already seen how the Egyptian regime imposed harsh military discipline to block those fundamentalist extremist elements. It was not able to withstand demonstrations by hundreds of thousands at Tahrir Square in the heart of the capital, Cairo. Only tremendous effort, with tacit backing from the international community, enabled more moderate elements headed by President Abdel-Fattah al-Sissi to take back control in Egypt and lead it as a diplomatic and military entity that is helping to stabilize the Middle East.

Sissi and the military leadership will not take a risk that is liable to plunge Egypt into chaos from which it will be difficult to save itself. Continuation of the military campaign in Rafah, which is overcrowded with more than a million Palestinians, is exactly the fuse that will ignite the streets of Egypt's cities, and after that also those in Jordan – another country whose relations with Israel are essential to our security.

Before events degenerate, we will be facing several Arab countries that will have lost the remnants of the trust they have in the ability to create a relationship based on cooperation with Israel. However, the United States of America – the ally that inspiringly leapt to help Israel in its moment of unprecedented crisis, when the government was in shock and its leader had lost his last shreds of good judgment and responsibility – will take measures that will shake up Israel's ability to conduct the military and diplomatic battle and its economic stability.

Amid all this, Prime Minister Benjamin Netanyahu has decided to set the Temple Mount on fire. When the riots start around freedom of worship for the Muslim citizens of Israel and the Palestinians from the West Bank and Jerusalem – an extensive wave of terror will crest. This decision is deserving of special condemnation in light of the recent manifestations by Israeli Arab citizens of responsibility and solidarity with the distress their country is experiencing.

Instead of respecting the Arab community's solidarity, Netanyahu and Ben-Gvir are antagonizing it and inciting against it. Every reasonable person can certainly see this inevitable dynamic. Ben-Gvir and Smotrich and with them the violent hilltop youth and many others in the territories, who are still maintaining a degree of restraint, also understand this.

There is no way to explain their conduct apart from the understanding that this is exactly what they want. This is what they are hoping for. And when the wave of terror erupts, the messianic hallucinators will explain to us that force is necessary to prevent terror. Thus, war will seethe throughout the West Bank.

And we haven't said anything yet about the northern border. It is possible to try to reach understandings with Lebanon about a solution to the border issue, which could tame the flames that have already been lit there and have forced tens of thousands of Israelis to flee their homes.

Possibly sensible, restrained management without boastful declarations and endless threats will create an equation that will enable Hezbollah to depict the appearance of an achievement by a solution to the years-long conflict focused on a few points along the current border and justify withdrawal to the line north of Lebanon's Litani River. This would enable Israel to restore the feeling of security to inhabitants of the Galilee and bring them home for another 17 years of quiet. As was accomplished by the Second Lebanon War.

But Ben-Gvir and Smotrich do not want quiet on the northern front. A war there too will only reinforce the claim that there is no choice but to destroy all our enemies, on all the fronts, in all the sectors – whatever the price of this conflict may be.

The prime minister understands the inevitable consequences arising from this total surrender to the gang of pogromists that controls his government. He sees, he understands, but he collaborates. Ultimately (and perhaps a priori), Netanyahu is prepared to relinquish the hostages and undermine the peace agreements with Egypt and Jordan, which are essential pillars in the state of Israel's security infrastructure.

He is prepared to undermine relations with the United States to the point of a visible crisis with the president most committed ever to Israel's security, Joe Biden. Netanyahu understands that the continued reckless process will lead to Israel's isolation in the international community as it has never experienced before. Things are so dire that there is no way to avoid saying them loud and clear: Netanyahu, this will end in a lot more blood. Take heed – you have been warned.

 
 

Israeli Prime Minister Benjamin Netanyahu has presented his first official "day after" plan for the Gaza Strip once the war there ends, saying Israel will keep security control over all Palestinian areas and make reconstruction of Gaza dependent on its demilitarisation. The document proposes Israel would maintain security control over all land west of Jordan, including the occupied West Bank and Gaza - territories where the Palestinians hope to establish an independent state.


 

Any transfer of weapons or ammunition to Israel that would be used in Gaza is likely to violate international humanitarian law and must cease immediately, UN experts warned today.


 

Shaden et Ibrahim ont reçu une obligation de quitter la France après avoir déposé une demande de régularisation auprès de la préfecture d’Ille-et-Vilaine. Si celle-ci affirme avoir suspendu la procédure après la médiatisation de l’affaire, la mesure d’éloignement n’est pas pour autant annulée.


Le Rheu (Ille-et-Vilaine).– Dans leur petite maison située en périphérie de Rennes, les effluves d’un café venu tout droit de Palestine s’échappent de la cuisine pour envahir le salon. Ibrahim rejoint sa femme, Shaden, assise sur le canapé. Les enfants ne vont pas tarder à rentrer de l’école. « Pour la plus grande, au début, ça a été vraiment dur. Elle a vécu les bombardements de 2018 et a été traumatisée », confie la mère.

La fillette est arrivée en France à l’âge de deux ans et demi. Traumatisée par ce qu’elle a vu à Gaza. « Elle entendait des bruits sourds des bombardements. Elle en faisait des cauchemars. » Chaque soir, elle prenait place dans le lit du couple, paralysée à l’idée de dormir seule. Les parents lui ont trouvé un psychologue, qui l’a suivie quelque temps. Aujourd’hui, elle est très sociable, se réjouit Shaden, qui précise qu’elle a malgré tout toujours besoin qu’on l’accompagne lorsqu’elle se rend aux WC.

Mais alors que la fillette allait mieux, elle voit désormais ses parents, et notamment sa mère, pleurer en lisant la presse arabophone ou en regardant Al Jazeera. Ce jeudi 8 février dans l’après-midi, la chaîne montre les images de Rafah, où plus d’un million de déplacé·es survivent sans rien ou presque après avoir fui la bande de Gaza, dont les habitations sont ravagées par la guerre.

« On essaie de ne pas regarder les infos quand les enfants sont là, mais ils ressentent tout », regrette Shaden, dont la famille a trouvé refuge sous les tentes de Rafah. Son frère, Majd, est décédé sous les bombardements, alors qu’il se trouvait dans le salon de la maison familiale, dans un quartier du centre de la bande de Gaza. Il avait 23 ans.

« Ma famille n’a pas voulu me le dire tout de suite, mais j’ai vu son nom sur Telegram et j’ai compris. » Ce soir-là, son père est blessé également. Il a depuis une fracture, suppose-t-elle, mais il n’ose pas se rendre à l’hôpital sachant toutes les urgences qu’il y a à traiter, comme les amputations.

Sur son ordinateur, Ibrahim fait défiler les photos de cet « enfer » : la maison de la famille de Shaden, pulvérisée et rendue à l’état de ruine, mais aussi le visage ensanglanté de son frère décédé, le corps enveloppé d’un linceul blanc, sur lequel se penche un proche. « Ça, c’était notre appartement », dit-il, l’air blasé. En tout cas ce qu’il en reste.

##Une OQTF suspendue mais pas annulée

Et « malgré tout ça », la préfecture d’Ille-et-Vilaine voudrait les « renvoyer » là-bas ? « Ils veulent mettre en jeu notre vie, nous envoyer à la mort », souffle l’homme âgé de 37 ans, qui ne se considère pas comme « immigré » ou « migrant », termes parfois péjoratifs et instrumentalisés, mais comme « expatrié ».

Depuis près d’une semaine, le couple est sous les feux des projecteurs. Un article de Ouest-France est venu mettre en lumière la situation ubuesque dans laquelle ils se retrouvent plongés, depuis que la préfecture a refusé leur demande de titre de séjour « vie privée et familiale » et leur a en sus délivré une obligation de quitter le territoire français (les fameuses OQTF).

Comment est-ce possible ?, s’interrogent-ils. « On sait qu’on a droit à ce titre grâce à notre intégration. On remplit les critères, on a des amis français, j’ai une promesse d’embauche », égraine Ibrahim, qui dit ne pas comprendre comment les autorités ont pu prendre une décision pareille.

Face au tollé provoqué par l’article de Ouest-France, la préfecture n’a pas tardé à réagir en publiant un communiqué, dans lequel elle précise que « contrairement à ce qui est relayé sur les réseaux sociaux, aucun éloignement vers la Palestine n’est organisé dans le contexte actuel ». « Les intéressés se sont vu notifier des obligations de quitter le territoire français (OQTF) en mai 2023, avant les événements tragiques qui se déroulent actuellement à Gaza », poursuit-elle, indiquant que la mesure d’éloignement est « suspendue ».

Mais l’OQTF n’est pas annulée pour autant et l’affaire court toujours devant le tribunal administratif de Rennes, puisque le couple a contesté la mesure d’éloignement en novembre dernier, et a dans le même temps formulé une demande de réexamen dans l’espoir d’obtenir l’asile en France.

La préfecture attend donc simplement que la demande soit traitée, ce qui signifie concrètement que le couple pourrait être expulsé en cas de nouveau rejet de sa demande. Dans son mémoire en défense daté du 23 janvier, que Mediapart a pu consulter, la préfecture assume d’ailleurs vouloir éloigner Shaden et Ibrahim malgré le massacre en cours à Gaza.

« Le couple ne démontre pas être dépourvu de toute attache dans leur pays d’origine », peut-on lire pour justifier l’OQTF. Puis plus loin : « S’il est exact que la situation sécuritaire dans la bande de Gaza est très dégradée, [...] il n’en est pas de même en Cisjordanie, où, si des heurts épars sont constatés, la situation est globalement stable, et qu’il paraît concevable que les intéressés puissent s’y installer. De même, leurs enfants en sont encore aux premiers apprentissages scolaires, si bien qu’il n’est pas démontré qu’ils ne pourraient pas poursuivre cette scolarisation en Cisjordanie. »

##Leur demande d’asile rejetée en 2018

L’avocate du couple, Me Le Verger, dit avoir été abasourdie en découvrant le contenu de ce mémoire, adressé après la clôture de l’instruction. « De manière générale, on était plutôt confiants sur leur demande d’admission exceptionnelle au séjour. C’est un couple amoureux de la France, lui est professeur de français, bénéficiant d’une promesse d’embauche et très actif dans la vie de leur commune. »

L’avocate estime qu’il s’agit là d’un cas symptomatique de la politique du chiffre menée par le ministère de l’intérieur, qui s’entête à délivrer des OQTF à des ressortissant·es de pays en guerre. « Il y a une volonté d’expédier les dossiers, quitte à créer de la précarité et de la souffrance. Et finalement, les tribunaux sont engorgés à cause du manque de professionnalisme ou de moyens des préfectures. » Sollicité par Mediapart, le ministère n’a pas donné suite.

On parle français, on se sent français, on rêve en français.

Ibrahim

Dans la maison, Naya, du haut de ses 3 ans, fait des tours de vélo dans le salon, tandis que les deux plus grands attendent que le dîner soit servi. Les deux plus jeunes sont nés en France, et ne parlent que français. « Il n’y a que l’aînée qui est née à Gaza », explique Shaden, qui s’étonne des arguments avancés par la préfecture. « Et puis, ils ne savent pas que les Gazaouis ont l’interdiction de se rendre en Cisjordanie ? »

Pour le couple, ces passages ont eu l’effet d’une déflagration. « C’est choquant. On vit en France depuis six et huit ans. On parle français, on se sent français, on rêve en français. On s’assume totalement depuis des années et ils refusent de nous donner les papiers. »

Professeur de français, Ibrahim a rejoint la France en 2016 avec un visa étudiant, après un premier séjour à Vichy en 2012 à l’occasion d’une formation financée par une bourse. Shaden le rejoint deux ans plus tard, avec un visa équivalent, et poursuit ses études de langues pour se spécialiser en anglais.

Lorsqu’ils décident de demander l’asile, en juillet 2018, c’est la douche froide. L’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) rejette leur demande, la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) vient confirmer cette décision. Au bout de deux ans de procédure, ils tombent dans l’irrégularité mais se battent malgré tout pour rester.

S’éloigner de la famille a sans doute été le choix le plus difficile de leur vie. « On avait notre vie là-bas, notre logement, notre métier de professeur. On est venus avec notre argent et on a assumé tous les frais jusqu’à ce jour, sans aucune aide. »

Mais ce qui les a poussés à vouloir rester en France, précisent-ils, « ce sont [leurs] enfants ». « C’est ce qu’on a de plus précieux. Quand on a vu l’état psychologique de notre fille, ça nous a décidés. On veut qu’ils vivent en paix. » C’est au vu du contexte que le couple a demandé un réexamen de sa demande d’asile auprès de l’Ofpra le 21 janvier.

##Une vie suspendue

L’audience au tribunal administratif, prévue le 24 janvier, a été reportée, sans date fixée encore à ce jour, car la préfecture a répliqué avec son mémoire en défense la veille. En attendant de savoir s’ils obtiendront l’asile ou si l’OQTF sera annulée par la justice, Shaden ne vit qu’à travers les écrans. « Ma vie s’est arrêtée depuis que la guerre a repris. » La trentenaire a dû mettre ses études en suspens, et surveille les chaînes Telegram jour et nuit, à la recherche de noms de proches décédés. « Il y a tellement de morts qu’on tente de filtrer par région. »

Le couple « angoisse tout le temps » pour ses proches, et reste sans nouvelles durant des semaines parce que ces derniers n’ont pas de connexion ou d’électricité pour charger leurs téléphones. Jusqu’au message dans lequel ils indiquent simplement être « vivants ». L’autre jour, son aînée a compris que les cadeaux qu’elle avait fait parvenir à sa cousine préférée avaient été détruits dans les bombardements. « Ça lui a fait mal parce que ça lui tenait à cœur, c’étaient des choses qu’elle avait choisies elle-même. »

Dans l’entrée, un collier au pendentif incrusté d’une photo de son frère lui rappelle la douleur de n’avoir pas revu Majd avant qu’il ne disparaisse. Elle aurait pu voyager, avant que cette nouvelle étape de la guerre ne démarre, si elle avait eu « des papiers ».

Elle dit n’avoir jamais obtenu de réponse de la préfecture lors de sa première demande de régularisation, une fois son titre étudiant expiré. Heureusement, note-t-elle, un réseau de solidarité local se mobilise pour leur venir en aide. Le téléphone ne cesse de sonner le jour où nous les rencontrons. « Tu sais que le monsieur du bar PMU a reconnu ma tête dans le journal ?, lance Ibrahim à son épouse. Il était révolté de ce qui nous arrive. »

[–] NuclearPlatypus@jlai.lu 2 points 2 years ago (1 children)

Hello,

Merci je n'étais pas au courant de cette règle.

[–] NuclearPlatypus@jlai.lu 11 points 2 years ago (3 children)

Causeur : le journal d'Elizabeth Lévy (qui a aussi défendu de manière abjecte Depardieu sur CNEWS).

[–] NuclearPlatypus@jlai.lu 10 points 2 years ago (1 children)

Qu'est-ce qu'une simple tentative d'assassinat de maire par rapport à de violents décrochages de portraits du président ?

[–] NuclearPlatypus@jlai.lu 6 points 2 years ago (1 children)

Concernant le recours à des algorithmes de surveillance durant les Jeux olympiques, la SNCF reste tout aussi évasive. « Le déploiement de ces solutions sera décidé par le ministère de l’intérieur, avec la Cnil comme garante de la bonne application de la loi. Conformément à la réglementation, elles n’utiliseront aucun traitement biométrique et les techniques d’intelligence artificielle resteront une aide à la décision, un opérateur demeurant dans tous les cas responsable des décisions opérationnelles. Par exemple, pour la détection des intrusions dans nos emprises ou des bagages suspects. »

Selon des documents obtenus par Mediapart, une expérimentation a été « particulièrement emblématique » par son ampleur. Durant plusieurs mois en 2020, la SNCF a passé certains voyageurs à la moulinette d’un logiciel un peu particulier, développé par la firme israélienne Anyvision – renommée en 2021 Oosto. Associés aux caméras, ses algorithmes sont capables de suivre en temps réel une personne sur l’ensemble du réseau, selon différentes caractéristiques. « Le logiciel testé était en version bêta. C’était une solution non biométrique de recherche de personnes basée sur les vêtements », complète Michel*, un salarié impliqué dans le projet.

Selon les échanges entre la SNCF et la Cnil, le gendarme français des données personnelles, datés de 2018, ce logiciel « aide les opérateurs vidéo de la SNCF à retrouver rapidement une personne dans le temps et dans l’espace ». Ces derniers pourraient ainsi retrouver une personne ayant abandonné un bagage, l’auteur·e d’un délit ou d’un crime ou tout autre personne volontaire.

Lors du passage de la loi Jeux olympiques devant le Parlement, des eurodéputés s’alarmaient de voir ces systèmes de vidéosurveillance intelligente « créer un précédent de surveillance jamais vu en Europe ». Au contraire, la SNCF ambitionne depuis plusieurs années « de se positionner comme un acteur majeur et incontournable des technologies liées à la vidéo », comme elle l’écrit sur son site internet.

Cette obsession pour les systèmes de vidéo-intelligence inquiète Katia Roux, chargée de plaidoyer au sein de l’ONG Amnesty International. « Il y a un vrai débat sur le caractère biométrique ou non de ces technologies de vidéosurveillance algorithmique. Une démarche ou un vêtement est un élément qui permet d’identifier concrètement quelqu’un. C’est donc une donnée biométrique. Or, le Règlement général sur la protection des données interdit le traitement de ces données, sauf exceptions. »

Le nom du partenaire choisi interroge également. La société Anyvision est connue pour ses liens avec le monde militaire israélien. En 2020, son président est Amir Kain, ancien chef du département de la sécurité au ministère israélien de la défense. Tamir Pardo, l’un de ses conseillers, est un ancien chef du Mossad, l’agence de renseignement israélienne. La même année, Microsoft décide de revendre ses parts dans la société, à la suite de la publication d’une enquête de NBC News qui pointe le rôle de l’entreprise dans un programme de surveillance en Cisjordanie.

Une annonce qui a amené en 2020 Microsoft à revendre ses parts dans Anyvision. Mais qui n’a pas dissuadé la SNCF de mener une expérimentation avec l’entreprise. En 2017, la SNCF a testé un logiciel d’aide à l’investigation d’une autre firme née en Israël, Briefcam. Il y a quelques semaines, le tribunal administratif de Caen a estimé que le recours à ce logiciel par la communauté de communes de Deauville « portait une atteinte grave et manifestement illégale au respect de la vie privée », selon les termes de la décision. La même année, la SNCF a également testé une solution de détection « d’anormalités » du géant français Thales.

Un logiciel à l’usage flou, dont les algorithmes, couplés à des caméras de videosurveillance, pourraient détecter des citoyens et citoyennes adoptant des « comportements dangereux » dans les gares. Interrogé sur la nature de ces comportements, Thales refuse d’entrer dans le détail, par souci de confidentialité. « Le groupe propose une plateforme digitale de fusion de données hétérogènes pour contribuer à créer des territoires de confiance, des villes plus intelligentes, plus sûres et résilientes. » Même son de cloche chez les entreprises Atos, Anyvision ou Aquilae, qui n’ont pas souhaité répondre à Mediapart.

« Il y a des questionnements légitimes sur la maturité de ces technologies : est-ce que les policiers ou opérateurs de terrain ont conscience de leur efficacité relative ? Si un policier ne l’est pas et considère que l’IA est infaillible, il peut estimer qu’une zone où il n’y a aucune détection de port d’armes est sécurisée, alors que ce n’est pas forcément le cas, compte tenu des erreurs des logiciels. En l’absence de démarche scientifique d’évaluation de l’impact de ces technologies, il est hasardeux de se positionner sur leur efficacité », détaille le chercheur Guillaume Gormand, auteur d’une enquête sur la vidéosurveillance.

Les coauteurs de cette mission d’information, les députés Philippe Gosselin et Philippe Latombe, notent également l’efficacité fluctuante de certaines technologies. « Si le comptage d’un flux de spectateurs ou le repérage d’un individu dans une zone interdite correspondent aujourd’hui à des technologies matures, la détection de personnes au sol, d’objets abandonnés, de mouvements de foule ou du port d’une arme présente une relative complexité, en dépit de l’ampleur des progrès technologiques récemment accomplis. » Malgré cette immaturité, ces quatre exemples font partie des comportements autorisés à être analysés par ces systèmes d’IA dans le cadre de la loi Jeux olympiques. Jusqu’en mars 2025, ils peuvent donc être librement testés en temps réel sur les citoyens et citoyennes.

[–] NuclearPlatypus@jlai.lu 6 points 2 years ago (2 children)

Suivi de personnes, maraudage, détection d’intrusion… Depuis 2017, la SNCF a expérimenté plusieurs outils de surveillance des géants français Thales et Atos, mais aussi des sociétés étrangères Briefcam et Anyvision. Ces outils, proches de la reconnaissance faciale, pourraient être expérimentés par la SNCF durant les Jeux olympiques. Malgré des tests aux résultats contrastés.

Certaines portent une valise direction la Côte d’Azur en TGV, d’autres un simple cartable pour aller au travail avec un train régional. Chaque jour, des centaines de milliers de personnes fourmillent dans les couloirs des gares SNCF. Elles sont encore plus nombreuses lors des fêtes de fin d’année. Durant leur passage en gare, l’ensemble des voyageurs et voyageuses est soumis au regard des 70 000 caméras installées par la SNCF en France : 17 000 dans les gares et 45 000 embarquées dans les trains.

Lors des Jeux olympiques qui se tiendront en août prochain à Paris, en plus du regard de ces yeux numériques, les citoyen·nes fréquentant les halls des gares pourront être soumis·es à des algorithmes de vidéosurveillance. La loi « Jeux olympiques » du 19 mai 2023 a fixé un cadre à l’expérimentation de ces logiciels jusque-là illégaux. Jusqu’en mars 2025, lors d’événements sportifs et culturels – dont les JO –, la police, la gendarmerie, mais aussi les services de sécurité de la SNCF peuvent coupler ces IA aux caméras pour identifier la présence d’objets abandonnés, un mouvement de foule ou le port d’une arme.

Des systèmes que le groupe ferroviaire connaît bien. Selon des documents obtenus par Mediapart, il a déjà testé entre 2017 et 2021, avec l’accord de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), 19 logiciels de vidéosurveillance algorithmique en conditions réelles sur les citoyen·nes fréquentant ses gares. Des projets menés avec les plus grandes multinationales du secteur comme Thales et Atos, les PME françaises Aquilae et XXII ou les sociétés étrangères Anyvision et Briefcam. Sur ces dix-neuf tests, dix ont obtenu un niveau de performance jugé inférieur à 50 % par la SNCF. Contactée, la société n’a pas voulu entrer dans le détail de leur efficacité.

Initialement, selon des documents consultés par Mediapart, la SNCF a même voulu, pour identifier les comportements, tester une technologie illégale, la reconnaissance faciale. Mais elle n’a pas obtenu de dérogation de la Cnil, qui a rappelé le côté intrusif de cette technologie biométrique. Désireuse de mener son projet à bien, la SNCF s’est donc tournée vers le logiciel de vidéosurveillance algorithmique d’Anyvision, car il n’examine pas, selon elle, une donnée biométrique – le visage d’un individu – mais d’autres caractéristiques non biométriques comme la démarche ou la tenue vestimentaire.

L’utilisation de ce type de logiciel dans l’espace public n’étant encadrée par aucune législation à cette époque, la SNCF a demandé début 2019 une autre autorisation à la Cnil, qui la lui a cette fois-ci accordée. Par le passé, la SNCF avait déjà testé deux autres algorithmes du même type, ceux de la start-up française XXII et de l’entreprise japonaise Fujitsu. Plusieurs gares ont été concernées par au moins une de ces expérimentations, notamment la gare du Nord, la gare de l’Est, la gare Saint-Lazare, la gare de Lyon-Part-Dieu ou celle de Marseille-Saint-Charles.

« Ces outils dont le rôle et l’usage sont définis par des termes flous sont particulièrement dangereux », réagit Noémie Levain, juriste au sein de l’association de défense des libertés numériques La Quadrature du Net. Cela signifie que la SNCF délègue la définition d’un comportement anormal d’un citoyen en gare à un algorithme, qui plus est développé par des sociétés pour la plupart issues de l’industrie militaire, dont la définition de la sécurité est nécessairement subjective, politique et repose sur la base d’une vision répressive et discriminante. »

Depuis 2021, les tests semblent s’être estompés. Dans un document transmis à des parlementaires, la société note que cela coïncide avec un changement de posture de la Cnil, « qui, face au développement de ces technologies et aux premiers déploiements qu’elle a pu constater ces dernières années, a temporisé et lancé une consultation publique ».

Le résultat de cette consultation a été publié en juillet 2022. La Cnil s’y inquiète des conséquences potentielles du développement massif des outils de vidéosurveillance algorithmique. « Une généralisation non maîtrisée de ces dispositifs, par nature intrusifs, conduirait à un risque de surveillance et d’analyse généralisées dans l’espace public susceptibles de modifier, en réaction, les comportements des personnes circulant dans la rue ou se rendant dans des magasins », note l’autorité administrative.

Quelques semaines après la publication de cette consultation, dans la nuit du 20 au 21 octobre 2022, la SNCF a mené trois nouvelles expérimentations de vidéosurveillance algorithmique. L’une avait vocation à identifier l’entrée à contresens d’un individu ou son franchissement d’une zone interdite, la seconde une personne se mettant au sol et la dernière le port d’une arme.

Mentionné dans une mission d’information sur les enjeux de l’utilisation d’images de sécurité dans le domaine public, le retour d’expérience de la Direction des entreprises et partenariats de sécurité et des armes (DPSIS) du ministère de l’intérieur est mitigé, notamment sur le port d’armes. « Les deux solutions mises en œuvre ont présenté des résultats insatisfaisants sur l’ensemble des scénarios de test, avec des taux de détection presque nuls et des dizaines de fausses alarmes », note la DPSIS.

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